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Le rapport des femmes à l’argent : le fruit  d’un système inégalitaire

Les idées reçues sur les femmes et l’argent sont encore trop nombreuses. Les données existantes sur le sujet montrent pourtant à quel point le rapport que les femmes entretiennent avec l’argent est pétri par l’éducation, les inégalités et les injustices. Tour d’horizon des principaux stéréotypes liés aux femmes et à l’argent et des inégalités qui se cachent derrière ce rapport si particulier.

Les femmes et l’argent : des stéréotypes à la réalité

Les femmes seraient naturellement vénales, intéressées, frivoles, etc.


Les femmes sont encore trop souvent victimes de clichés péjoratifs quand il en va de leur rapport à l’argent. Une simple recherche sur Google avec la requête « femme et argent » permet de s’en rendre facilement compte.

Section "Autres questions posées" sur Google pour la requête "femme et argent", reflétant les clichés sexistes sur le sujet.
Capture d’écran des « Autres questions posées » suggérées par Google Search pour la requête « femme et argent » (ainsi que pour « la femme et l’argent »), en 2e position de la SERP (capture faite le 30/03/2023).

Les faits vont nettement à l’encontre de tous ces préjugés.

Scolairement, les filles réussissent mieux et sont plus nombreuses que les garçons à poursuivre leurs études après le baccalauréat. Elles sont aussi plus diplômées1. Malgré ces atouts qui pourraient leur permettre de construire des carrières prospères, elles s’orientent majoritairement vers des métiers moins rémunérateurs. En 2020-2021, la plupart se préparaient à exercer une profession dans les domaines du paramédical, du social, du médical (médecine et pharmacie) ou des sciences humaines (lettres, langues, etc.). Dans les écoles d’ingénieur, par contre, près de trois quarts des étudiants étaient des hommes1.

En 2018, 72 % des hommes et des femmes âgés de 40 ans vivaient en couple1 : la vie à deux reste la norme. Et lorsque le duo accueille un ou plusieurs enfants, ce sont en général les mères qui se mettent à temps partiel, prennent un congé parental ou suspendent leur activité professionnelle. D’ailleurs, elles revêtent également de plus en plus le rôle d’aidante familiale et prennent soin des plus âgés. Pour expliquer les raisons de ces choix, on peut évoquer l’écart de rémunération entre les hommes et les femmes : c’est logiquement celui des deux qui gagne le moins dans le couple qui délaisse son travail. 

Les femmes se chargent donc de concilier vie personnelle et vie professionnelle dans l’intérêt de leur foyer. Mais ce faisant, elles y perdent financièrement. En effet, l’évolution de leur salaire, déjà inférieur à celui des hommes, est freinée par l’interruption de leur carrière. En outre, elles prennent leur retraite plus tard et perçoivent une pension moins élevée. 

Par ailleurs, les femmes consacrent plus de temps aux tâches domestiques (corvées ménagères, enfants, etc.) que leurs compagnons2. Elles fournissent un travail gratuit invisible qui constitue un manque à gagner estimé à une somme allant de 5 982 et 14 159 € par an3

Pour couronner le tout, elles osent moins demander une augmentation ou une promotion à leur employeur, ou négocier leur salaire pendant un entretien d’embauche4

Les femmes ont moins d’argent que les hommes  

Lorsqu’on se penche sur les écarts de rémunération entre les hommes et les femmes, les chiffres sont édifiants. 

Tous temps de travail confondus, les femmes touchent 22 % de moins que les hommes1. En adoptant le point de vue des femmes, on dira que les hommes empochent 29 % de plus que les femmes5. Notons que le pourcentage le plus médiatisé est le premier, le plus faible. Cela ne change rien au résultat : la perte s’élève à 450 € par mois en moyenne pour les salariées.

Si l’on compare les salaires à temps de travail égal, à temps plein, les femmes gagnent 16,8 % de moins que les hommes. 

Quant à l’écart de rémunération entre les membres d’un même couple hétérosexuel, il était de 42 % en 20116. Certes, cette donnée commence à dater, mais dans un sondage récent réalisé par l’IFOP, seulement 28 % des femmes en couple révèlent que leurs revenus sont supérieurs à ceux de leurs conjoints4.   

Enfin, au moment de la séparation, une femme voit son niveau de vie baisser de 20 %7. D’ailleurs, plus d’une mère isolée sur 3 vit sous le seuil de pauvreté1

De fait, les femmes gagnent moins d’argent que les hommes, et elles en perdent aussi beaucoup ! Certains diront que c’est de leur faute. « Pourquoi t’es partie en fac de lettres, tu étais si brillante ! » « Il fallait réfléchir avant d’avoir des enfants ! » « Fallait pas divorcer ! » « On est responsable de ses choix ! » Des choix ? Vraiment ?

Les femmes et l’argent : reflet des inégalités de genre qui structurent notre société

Des injonctions faites aux femmes depuis leur naissance

Les filles ne reçoivent pas la même éducation que les garçons. On leur apprend dès leur plus jeune âge que l’argent est une affaire d’hommes. Elles seraient trop dépensières et pas très fortes en maths, alors on ne leur donne pas autant d’argent de poche qu’à leurs frères8.

Plus tard, on les laisse gérer le budget quotidien du foyer, mais dès qu’il y a de plus gros investissements à faire, ce sont leurs époux ou concubins qui s’en chargent4. Quant aux rendez-vous chez les banquiers, les notaires ou les chargés de patrimoine, c’est à l’homme que l’on s’adresse. Quelle femme n’a pas eu affaire à ces comportements sexistes ? Rappelons-nous que, jusqu’en 1965, les épouses ne pouvaient pas travailler sans l’accord de leur mari ni avoir de compte bancaire à leur nom ! Difficile d’investir ou d’épargner dans ces conditions !

De plus, les filles sont éduquées au don de soi, à la douceur, à la séduction et à la beauté. On attend d’elles qu’elles s’occupent des autres9. Ainsi, il n’est pas étonnant qu’elles se dirigent vers des métiers pour lesquels ces qualités dites « féminines » sont requises. Il est peu surprenant aussi qu’elles sacrifient, plus tard, leur carrière pour leur famille. 

Et que dire des injonctions faites aux femmes sur leur apparence ? Entre « charge esthétique10 » et « taxe rose » (technique commerciale qui consiste à augmenter le prix des produits destinés aux femmes, principalement de beauté et d’hygiène), elles dépensent beaucoup d’argent alors qu’elles en ont moins que les hommes ! 

Les faibles rémunérations des métiers du Care 

Caissières, infirmières, aides-soignantes, assistantes maternelles, aides à domicile, etc. On peut employer le féminin ici, tant les métiers du care sont féminisés. Les personnes qui exercent ces professions doivent très souvent composer avec des horaires contraignants et des charges mentales et émotionnelles lourdes, voire des conditions de travail pénibles physiquement. La crise de la Covid-19 nous a d’ailleurs rappelé le caractère essentiel de ces activités. Pourtant, ces métiers, parmi les plus socialement utiles, sont mal rémunérés. 

Prenons l’exemple des infirmières : elles ont dû attendre 2010 pour que leur salaire augmente significativement, lorsque la fonction publique hospitalière a reconnu leur diplôme comme étant équivalent à un niveau bac +3 (catégorie A)11. Elles étaient auparavant classées dans la catégorie B, qui correspondait à un niveau de diplôme de niveau baccalauréat. Une infirmière fait-elle un métier moins important qu’un ingénieur ? 

Et sans les aides à domicile, que ferions-nous ? D’après France Stratégie et la DARES, le nombre de postes pour ce métier augmentera de 18 % d’ici 203012, preuve s’il en fallait, que ce métier est indispensable.

Le manque d’éducation financière : une entrave à l’émancipation féminine

Étonnamment, ni les hommes ni les femmes ne sont assez éduqués à l’argent : le sujet est tabou au sein des familles françaises12. Ce manque d’information sur les questions liées à l’argent pénalise particulièrement les femmes : elles perdent de l’argent sans le savoir, parfois même croyant en gagner.  

Lorsqu’une femme se met en couple, connait-elle les désavantages de l’union libre ou du PACS par rapport au mariage ? A-t-elle connaissance du large choix de contrats de mariage qui existe ? 

A-t-elle conscience du fait que la répartition des dépenses à 50/50 est totalement injuste si ses revenus sont moins élevés que ceux de son conjoint ? Particulièrement si elle se charge d’effectuer la majeure partie du travail gratuit non rémunéré… 

Quand elle aura des enfants et qu’elle interrompra sa carrière, aura-t-elle envisagé les conséquences financières de cette décision sur sa retraite ? 

Réalise-t-elle l’injustice du calcul de l’impôt sur les revenus en commun, lorsque son compagnon gagne plus d’argent qu’elle ? L’imposition commune permet au couple de payer moins que si chacun avait payé séparément, certes, mais cela n’est profitable qu’à l’homme, si aucune compensation n’est prévue ! À l’heure où nous écrivons cet article, une proposition de loi est néanmoins sur la table pour faire du taux individualisé le taux par défaut pour le calcul de l’impôt sur le revenu. 

Il est éminemment nécessaire d’informer les femmes ET les hommes sur tous ces points afin qu’ils soient mieux armés pour agir au bénéfice de tous. 

➡️  Pour en savoir plus, écoutez l’épisode du podcast avec Lucile QUILLET, autrice de l’essai intitulé Le prix à payer : ce que le couple hétérosexuel coûte aux femmes10

Article écrit par Sofia DA SILVA

SOURCES*

1 INSEE : Une lente décrue des inégalités − Femmes et hommes, l’égalité en question (03/03/2022) 

2 INSEE : Les inégalités sociales à l’épreuve de la crise sanitaire : un bilan du premier confinement (03/12/2020) 

3 Le Coût des Inégalités en France, Lucie PEYTAVIN et Ginevra BERSANI, Rapport conjoint de la Fondation des Femmes et de Genre et Statistiques (mars 2022)

4 IFOP : Les femmes et l’argent (22/03/2023)

IFOP: Enquête sur le rapport des femmes à l’argent (16/09/2022)

5 Observatoire des Inégalités : Les inégalités de salaires entre les femmes et les hommes : état des lieux (22/01/2023)

6 INSEE : Écarts de revenus au sein des couple (06/03/2014)

7 INSEE : Les variations de niveau de vie des hommes et des femmes à la suite d’un divorce ou d’une rupture de Pacs − Couples et familles (16/12/2015)

8 Le Couple et l’Argent : pourquoi les hommes sont plus riches que les femmes, Titiou LECOQ (Éditions de l’Iconoclaste, 2022)

9 La Fabrique de Filles, Laure MISTRAL (Syros, 2010)

10 Le Prix à Payer : ce que le couple hétérosexuel coûte aux femmes, Lucile QUILLET (Éditions Les liens qui libèrent, 2021)

INSEE : Métiers « de femmes », métiers « d’hommes » : en quoi les conditions de travail des femmes et des hommes diffèrent-elles ? − Femmes et hommes, l’égalité en question (03/03/2022)

11 Les Échos : Les infirmières renoncent à la retraite à 55 ans pour être mieux payées (06/01/2010)

12 France Stratégie : Les métiers en 2030 (10/03/2022)

13 Vives Media : L’argent et nous, ça fait deux ! Baromètre 2023 de ViveS (30/03/2023)

Vives Media : Éducation financière : le prix de la liberté (08/03/2023)

Les Echos : Argent, épargne, budget : ce que les femmes doivent savoir (30/05/2022)

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